Note de lecture

Anne Mulpas, Macadam donna (ça me trouble), éditions de Corlevour

Au magnifique catalogue des poètes parus aux éditions de Corlevour, Anne Mulpas vient ajouter une voix très sûre et singulière qui prend ici racine en Terre, Terra, Gaïa ou tapis des vaches, en toutes sortes de décors plantés pour faire entendre en un recueil polyphonique les « trois protagonistes du vivier » : Luca, Aden, Poème. Un recueil sous-titré – et entre parenthèses – « (ça me trouble) ».
Le trouble et le mouvement général du recueil gagneront vite le lecteur, dans cette étonnante mise en scène croisée, hybride, où le théâtre et la musique s’entremêlent avec en toile de fond des informations brutes nommées « marges du réel » qui viennent scander régulièrement le texte comme un rappel au monde et sa finitude, où passent du plus gros au plus microscopique le règne du vivant, animal principalement.

Qui parle ? Il y a d’abord LUCA. Selon les signaux de la poète, il s’agit d’une créature imaginaire empruntant son nom à un acronyme anglais « Last Universal Cellular/Common Ancestor », la cellule ultime, « le dernier ancêtre commun de tous les êtres vivants, le premier être vivant hypothétique dont tous les existants descendent. » Il y a ADEN « tout aussi bestiole que LUCA. », humain sans doute et familier dans ses tentatives de « penser et s’activer ». Il y a POÈME, vrai personnage « à la fâcheuse manie de pondre parenthèses et digressions à tout-va dans la tourbe de son environnement. » Environnement, le mot est là.

Pour avoir entendu lire des extraits de Macadam Donna un jour de printemps chez un hôte parisien nommé Pierrick, accueillant autant qu’attentif, on mesure ici toute l’ampleur du travail accompli par Anne Mulpas, côté voix, côté musique, côté vitesse… Le recueil en rend bellement compte par un jeu subtil de la typographie et des espacements en lieu et place de la ponctuation. Mais également l’extrême découpage et ciselage des textes, une hésitation même dans la diction, l’affirmation d’un mot, comme impossible à dire entièrement « quelque chose quelque ch-/se régurgite/s’agite/passe/en fraude/en douce se présente/LUCA./ (pas une identité mais un pseudo) ».

Dans ce mélange de tragique et d’humour où « ça » discute avec POÈME passe un grand souffle fait de dérision et de travail très fin sur les niveaux sonores et de provenance de la langue : « … dream like an egyptian/ LUCA maîtresse des sycomores/médite par les cornes/les caprices de la Crue/rumine Hathor ou à raison/la question du rire et du labeur/POÈME ressort sa lyre/de sa crypte mandragore »

On devine, tout le long du recueil, ce dialogue – ce chœur – en vis-à-vis des marges du réel qui par vingt-deux fois viennent rappeler dans une urgence rêveuse un certain état du vivant planétaire et son désastre sous-jacent. Des marges du réel intercalées en italique dans le mouvement du texte, qui reviennent en écho comme autant de déclencheurs d’imaginaire, issus de toute la Terre : de Londres, de la mer Rouge, de l’Egypte, de la Côte d’Ivoire, de la Chine… Des « infos du réel » issues assurément de partout, y compris d’Internet, et toutes référencées à la fin de l’ouvrage (Vivre avec le trouble de Donna Haraway, sites Techno- Science.net ; National Geographic ; France Musique ; Éthique animale, etc.).
Sans doute y retrouve-t-on les traces, après détresse et enfermement, déflagration totale au bord de l’abîme que fut le COVID à l’échelle du globe, du désespoir et de la colère – et l’acte de créer en réponse, pour tenir. Et une fois encore rire. Exemples : « Les gouvernement chinois a déployé une armée de 500 oies sur presque 500 kilomètres de frontière afin d’empêcher le COVID-19 d’entrer sur son territoire par le bais de l’immigration clandestine. à savoir : Lorsqu’elles dorment, les oies peuvent également garder un côté de leur cerveau éveillé et l’œil qui lui est relié ouvert afin de détecter les menaces – un phénomène rare connu sous le nom de sommeil unihémisphérique. »
Et aussi : « La villa Bouddha, c’est 1635 € les deux nuits Airbnb chez Zahar superhost de Las Vegas. (yeaaah).

Ce long périple, « liant des ‘’passéprésent’’/sédentaires et nomades », commence par « …au début » et se clôt par « chimpanzés ». Reste le trouble qu’Anne Mulpas excelle à révéler – apprivoiser ? – « d’un geste d’avant le Verbe », dans une écriture qui progresse, semble-t-il, vers l’apaisement, une lente décantation servie par une voix qui porte.

Etienne Faure

John Reed, Broadway la nuit et autres écrits, Nada

Le livre de John Reed, 10 jours qui ébranlèrent le monde, a connu depuis sa première publication en 1919 à New York de nombreuses traductions et d’innombrables rééditions, devenant un best-seller international depuis plus d’un siècle. Actuellement, en France, il en existe deux éditions de poche et plusieurs brochées, la meilleure et la plus complète étant sans doute celle des éditions Nada…

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Howard Fast, La route de la liberté, Les bons caractères

Auteur fécond et divers, le romancier et scénariste états-unien Howard Fast (1914-2003), d’origine juive ukrainienne, est l’auteur d’une cinquantaine de romans et de plusieurs recueils de nouvelles. Adhérent du Parti communiste américain, il figure aussi parmi les victimes de la commission McCarthy.

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Mélusine Reloaded, Laure Gauthier, éditions José Corti

Jour chômé_un temps pour soi. Derrière la porte close, choisir un livre, se laisser appeler. MÉLUSINE RELOADED > une fée pour recharger les batteries, trouver des munitions, celles du vivre et du créer. Un conte écoféministe, un roman dystopique… oui sans doute… mais avant tout un geste.

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Gérard Macé, Silhouette parlante, éditions Gallimard, par Etienne Faure

Pour celles et ceux qui ont la chance de lire régulièrement Gérard Macé, c’est toujours le sourire aux lèvres qu’ils abordent un de ses nouveaux ouvrages. Car cette voix très distincte, distinguée, feutrée – et même féroce– nous a habitué à lire avec cette légère distance focale entre les lignes de la vie qu’il donne à voir sous forme d’essais, de notes, de déambulations, de colportages…

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François Bordes, Zone perdue, par Anne Mulpas

Zone perdue – fragments d’itinérance. Je reprends ma chronique. Sa première version date déjà d’il y a trois semaines. A L’ours & la vieille grille. Sa deuxième version s’impose après mon cheminement dans l’exposition Rothko. Me voici au troisième temps du texte, à moins que ce ne soit le quatrième, le centième…

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Étienne Faure, Vol en V, éditions Gallimard – par Anne Gourio

Comme on suit, fasciné, la trajectoire des oiseaux migrateurs, le dernier recueil d’Etienne Faure puise dans le ballet aérien de leur « vol en V » un sens de l’élan, du franchissement, du frayage qui se nuance en légères et souples inflexions au fil des espaces traversés à tire-d’aile…

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Frédérique Guétat-Liviani, Il ne faudra plus attendre un train, éditions LansKine – par Étienne Faure

Ce recueil emprunte son titre à l’une des trois parties qui le composent : si c’était le cas, (passe) ; il ne faudra plus attendre un train. En découvrant cette composition, on pense spontanément à un ensemble où viendrait s’intercaler le texte de (passe). Puis l’œil et l’oreille distinguent vite une même voix, dans ces deux pans, deux partis pris formels différents dans le cheminement de l’écriture de Frédérique Guétat-Liviani.

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Le journal des poètes 1/2022 – par Nicolas Rouzet

Le Journal des Poètes, numéro 1 de l’année 2022 – La langue est aussi frontière, nous dit Jean-Marie Corbusier, pratiquer un art, c’est toujours ouvrir quelque chose qui est présent autour de nous. C’est d’un même esprit d’ouverture que témoignent les poètes luxembourgeois auxquels est consacré le dossier présenté par Florent Toniello. Ici les langues dépassent les frontières, elles se chevauchent…

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