Note de lecture
Pierre Bergounioux, La Gorge, Fata Morgana – par Jean-Paul Rogues
Pierre Bergounioux, La Gorge, illustrations de Vincent Bioulès, Fontfroide-le-haut, Fata Morgana, 2023.
Avec La Gorge, Pierre Bergounioux entre dans le cercle de ceux, les rares qui, par leur prose, nous font franchir un seuil. C’est la proclamation du droit de l’imaginaire à s’emparer du présent. Je ne parle pas des surréalistes qui en firent une méthode. Il rejoint les plus grands, le Kafka des Fragments narratifs et le Dickens du Signaleur dans Bleack House (La Maison d’âpre-vent). Ses métaphores et ses analogies ne font pas irruption dans le réel, elles en jaillissent, s’imposent pour donner l’idée de l’état de tension d’un narrateur poussé à accomplir un voyage essentiel. Pour le lecteur il se termine dans l’incertitude et la neige, après une extraordinaire traversée de symboles mais il permet à l’auteur de dire « j’avais essayé de déclarer quelque chose (…) c’était là et j’étais arrivé. »
Après avoir lu Dickens, Kafka écrit Les Souvenirs du chemin de fer de Kalda ; Pierre Bergounioux, lui, ne jette pas le lecteur au cœur d’un monde autre, un ailleurs, il est encore plus proche du Dickens admiré par Nerval. Ce n’est pas un passage du présent tangible au monde suscité par le rêve comme sait le faire Denis Grozdanovitch. Non, ce formidable voyage en tension est accompli dans la réalité qu’il ne magnifie pas dans un merveilleux de convention, c’est le réel qui donne accès à l’intériorité par la vision offerte au regard.
Si l’on se permettait une folie, on pourrait en proposer un assemblage qui deviendrait facilement un poème à forte allure rimbaldoïde. Il suffirait pour cela d’ajouter quelques liaisons qui ne cassent pas le rythme des phrases arrachées à ces 35 pages dont on sort bouleversé. Mais chaque lecteur peut le faire aisément, aussi, laissons la parole nue ; la voici :

« En cette heure noire où toute présence et liesse s’est réfugiée dans les images. »
« Je ne descendrais avec rien du tout et moins que ça, encore, du ne pas, pour seuls viatique et recommandation. »
« …il n’existait pour ainsi dire rien de tangible hors du cercle des collines. »
« …le porche de l’inconnu par lequel les cavales de l’eau à la crinière d’écume entraient au bas-pays, tumultueusement. C’était ainsi. »
« Les puissances de l’origine, l’eau irritée, la terre intraitable, l’éternité avaient mis là les bornes de ce qu’il nous est permis de tenter, de connaître. »
« … tout le ciel et c’est d’un bord à l’autre que sa coupole arborait un bleu épais d’ecchymose. »
« … les mots incongrus que je transportais et dont j’imaginais qu’on devait les voir dépasser comme les épuisettes et les parasols des estivants, dans la plaine. »
« L’inconnu campe aux portes des gares, à l’entrée des gorges, à la bouche des tunnels. »
« Mais quand on a fini de forcer le passage, sondé les porches obscurs, reconnu ce qu’il y avait derrière et ce qu’on est, on devient prudent, timoré. »
« Le diesel grommelait. Le flanc rouge, palpitant, de l’autorail était sale, lui aussi, dans l’écrin grand ouvert de la neige, baigné de pleurs de suie, les opercules du moteur lourdement charbonnés. »
« Des chaudrons, qui devaient servir de jardinières dans les intermittences de la neige, semblaient bouillir, débordaient. »
« Je m’adressais à un cheval ou à un moteur ou à quelqu’un d’innocent ou de très dangereux. »
« Les plus décisifs de nos actes s’accompliront dans l’ignorance, la confusion et le tremblement, puisqu’on n’a pas les mots, et comme indépendamment de nous. »
« Le reste, j’en disposais encore. »
« J’ai essayé de déclarer quelque chose. (…) C’était là et j’étais arrivé. »
De plus, Pierre Bergounioux, a osé dire « je » ; un « je » profondément méditatif qui se trouve pris dans la logique d’un « rêve conscient » dans lequel il ne descend « avec rien du tout et moins que ça encore ». Tandis que les phares font « à la machine les yeux d’or illuminé qu’on prête avec les torpeurs invisibles aux grands animaux à sang froid ».
Aussi, nous les poètes, dont beaucoup sont avérés, généreux, nous devrions regarder de très près ce voyage où le narrateur attend « peut-être qu’on (lui) demande ce qu’(il) faisai(t) là, dans l’image d’un conte ou (il) étai(t)s entré ». Jamais il ne nous a habitués à cela, de façon aussi forte, aussi concentrée, on en devinait pourtant, dans toute son œuvre, le potentiel, une main invisible le poussait et ce texte est là, comme si une méditation sévère l’avait amené à lâcher prise et c’est pour nous une chance inouïe. Ce texte n’est pas un essai, la phénoménologie marxienne de Bergounioux ; a décidé de céder un instant la place à la vision, rien à voir avec Russe, une valve mitrale s’est ouverte avec piliers et cordages poétiques ; et il est merveilleux qu’en apparence il ne se passe rien.
Jean-Paul Rogues
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