Note de lecture
Robert Desnos, Poèmes de Minuit – par Jean-Paul Rogues
On ne peut s’empêcher de penser au dîner où un officier allemand déclare « il paraît que l’on vient d’arrêter vos deux plus grands poétes » et la réponse d’Alain Laubreaux.
« Quoi ! L’anarchiste Desnos et le juif Jacob ! ». Ce fut leur seule défense, et celui qui prononça ces mots eut raison de se réfugier dans l’Espagne franquiste à la libération.
Combien d’entre nous, quelle que soit notre génération ont pensé à ce qui aurait pu être dit, pour essayer de les sauver. Ernst Jünger donne une idée fidèle de ces dîners où Cocteau évitait le pire de la dénonciation, mais ne pouvait renoncer à faire partie du Tout Paris dont il avait été le « Prince frivole » exclu par Breton et le Surréalisme.
Mais Desnos, notre Desnos, celui des Espaces du sommeil, de La liberté ou l’Amour qu’il fallait encore lire dans l’enfer des bibliothèques dans les années 70. Desnos du Vin est tiré, de Maréchal Ducono. Desnos qui devait gagner sa vie à la radio, ce qui était déchoir pour Breton qui lui conseillait ironiquement d’épouser plutôt une femme riche. Desnos que Guillevic considérait seulement comme un « titi », (il est vrai qu’il était né boulevard Richard Lenoir). Desnos dont Aragon avait liquidé les poèmes en « refrains larirette » et en « interpellation à l’inanimé ». Desnos qui osait aimer Offenbach, et résister à Eluard, Breton et Aragon, entreprend en 1936 d’écrire un poème par jour entre minuit et une heure du matin, et ces textes, écrits entre 1936 et 1940 étaient pour l’essentiel inédits, 86 sur 123 exactement. En 1940, il recopie sur un cahier d’écolier ses « poèmes forcés » que l’on retrouve à Drouot en 2020 et qui nous parviennent aujourd’hui chez Seghers, avec une préface de Thierry Clermont, et l’on reconnaît tout de lui, tout ce que Marie-Claire Dumas avait su nous faire aimer : le sens de la camaraderie, son « Paris des chansons molles qui s’étirent le long des avenues », et ses questions :
« Ah que se passe-t-il en Espagne /Pourquoi est-ce que je suis là et las/ Qu’est-ce que je fous ici ? », et son désir de vivre, et cette volonté de faire pour le mieux : « un nom après ma mort / je n’en veux pas/ ou plutôt je m’en fous/ un nom de mon vivant/ s’agit pas de ça/ (…) Alors ? / Alors faire pour le mieux/ et que mon nom s’éteigne dans ce mieux/ si j’ai un nom ».
Guillevic avait raison c’est un titi, mais dans cet entre-deux guerres il fut de ceux qui firent aimer Paris, et précisément le peuple de Paris, le Paris libre et vivant d’Hemingway du « Paris est une fête », de 1924. L’histoire littéraire met Desnos au cœur du surréalisme des récits de rêve des Espaces du sommeil, mais, étrangers et provinciaux entendent également cette autre musique : le quartier Saint-Merri, la rue Saint-Martin, et au-delà des lieux, cette possibilité d’avoir « le temps de reprendre goût aux hommes ». Aragon avait aussi raison, la chanson de Desnos était simple au regard de la sienne, mais, sans savoir ce que le destin qui avait pris une figure monstrueuse, avait conçu pour lui, Robert Desnos écrivait en mars 36 à la fin d’un poème cette petite chanson.
Mes amis ne me verront plus
Mes amis ne me verront plus
Mes amis me perdront de vue
Mais ils entendront encore pendant quelque temps
L’écho de la chanson que je chante
De la joyeuse chanson que je chante

Florence Delay, Zigzag, par Serge Airoldi
Tout livre de Florence Delay arrive toujours avec son remarquable cortège de vivacité malicieuse, d’ardeur intacte, d’intelligence sans cesse renouvelée
François Migeot, Au fil de la chute, par Pierrick de Chermont
L’écrivain, que peut aussi être le poète, ne se recoupe pas forcément. Par exemple, entre l’essayiste de l’Art Romantique et le poète des Fleurs du mal
Jean Luc Marion, La métaphysique et après, par Pierrick de Chermont
Cet ouvrage, comme souvent chez l’académicien phénoménologue, est un récit fleuve portant sur l’enquête historique d’un concept : celui de la métaphysique
Frédéric Boyer, Évangiles, Gallimard – par Pierrick de Chermont
« Nous vivons en présence d’un Érasme de notre temps et nous ne le savions pas ». Voilà ce que nous nous disions lors d’une soirée suivant un récital de poésie…
Jean-Paul Bota, Lieux, éditions Tarabuste – par Étienne Faure
Voici avec Lieux le dernier recueil de Jean-Paul Bota. Un titre qui ressemble décidément à l’auteur et à toute son œuvre
Sabine Huynh, Elvis à la radio, Maurice Nadeau – par Pierrick de Chermont
Finissant ce récit, je m’écriai pour moi-même : « Que de souvenirs pour une sans-mémoire !
Pierre Bergounioux, La Gorge, Fata Morgana – par Jean-Paul Rogues
Avec La Gorge, Pierre Bergounioux entre dans le cercle de ceux, les rares qui, par leur prose, nous font franchir un seuil…
Ariel Spiegler, Le Mélange de l’eau, Corlevour – par Anne Mulpas
Soir de février — 33e jour d’hiver sans pluie, souffle Iannis devant la Nouvelle Étoile
Au lendemain matin, François notre café-retrouvailles un poème…
Luis Mizon, par Sylvestre Clancier
Notre ami, le poète Luis Mizon, membre de l’Académie Mallarmé, nous a quittés à l’âge de 80 ans, le 30 décembre dernier.
Stéphane Barsacq, Solstices, Corlevour – par Pierrick de Chermont
Faut-il s’intéresser à nouveau à la Morale, entendue comme un pan de la littérature où une voix exprime sa vie intérieure sous forme de monologue, d’interrogations, de quête, de résolutions ; parlant de sa vitalité et de sa misère…
François Sureau, Un an dans la forêt, Gallimard – par Pierrick de Chermont
Blaise Cendrars. Un nom, un un-ivers, et pourtant il dégage une telle prolixité qu’il décourage toute tentative d’approche. En effet, quoi de commun entre la Prose du Transsibérien, Poèmes élastiques, Moravagine, Pâques à New York, L’Or, La main coupé, Petits contes nègres, etc. ?
Ervé, Écritures carnassières, Maurice Nadeau, coll. à vif – par Pierrick de Chermont
S’il est un livre à lire en 2023, c’est bien celui d’Ervé, un récit-témoignage construit par fragments, un texte à hauteur d’homme. Une vie de dignité depuis la DDASS jusqu’aux trottoirs, avec ses défonces, ses couches de vêtements…
Séverine, L’insurgée, L’échappée – par Charles Jacquier
Sympathisante libertaire et proche de Jules Vallès, Sévérine (Caroline Rémy, dite – 1855-1929) fut l’une des premières femmes journalistes. Au cours de sa vie, elle écrira plus de 6 000 articles…
Jack London, La peste écarlate, Libertalia – par Charles Jacquier
Publié en 1912, ce court roman d’anticipation méconnu de Jack London (1876-1916) imagine le sort de l’humanité, ou de ce qu’il en reste, quelques dizaines d’années après qu’elle a été frappée par un virus meurtrier.
Guy Debord, Histoire, L’échappée – par Charles Jacquier
Après les volumes Stratégie, Poésie etc., Marx Hegel (voir Phoenix, n° 32 & 36), ce nouveau volume des fiches de lecture de Guy Debord, conservées à la Bibliothèque nationale de France, est consacré à l’histoire.
Étienne Faure, Vol en V, éditions Gallimard – par Anne Gourio
Note de lectureComme on suit, fasciné, la trajectoire des oiseaux migrateurs, le dernier recueil d’Etienne Faure puise dans le ballet aérien de leur « vol en V » un sens de l’élan, du franchissement, du frayage qui se nuance en légères et souples inflexions au fil des espaces traversés à...
Justyna Bargielska, L’enfant des dons, éditions LansKine – par Étienne Faure
C’est en version bilingue, grand luxe en ces temps, que le sixième recueil de la poète polonaise, Justyna Bargielska, est présenté par Isabelle Macor, traductrice, qui donne quelques repères décisifs en postface pour une entrée en matière dans ces trente-trois textes…
Frédérique Guétat-Liviani, Il ne faudra plus attendre un train, éditions LansKine – par Étienne Faure
Ce recueil emprunte son titre à l’une des trois parties qui le composent : si c’était le cas, (passe) ; il ne faudra plus attendre un train. En découvrant cette composition, on pense spontanément à un ensemble où viendrait s’intercaler le texte de (passe). Puis l’œil et l’oreille distinguent vite une même voix, dans ces deux pans, deux partis pris formels différents dans le cheminement de l’écriture de Frédérique Guétat-Liviani.
Eric Villeneuve, Tache jaune Monochrome bleu Sorte de blanc, éditions LansKine – par Étienne Faure
Eric Villeneuve est-il un grand enfant, nourri aux contes et au Danemark d’Andersen, entre Odense et Skagen ? Cet auteur qu’on a pris l’habitude de lire sous la rubrique « roman », livre ici un recueil un rien hybride qui prend son départ dans la force des mots, leur indépendance, dont, à la source, ceux de « Jensens, Brohus Odense ».
Thierry Romagné, Trois feux de langue, éditions Rehauts – par Étienne Faure
Un recueil qui commencerait par « Ahh, ahh, brr ! » et se clôturerait par « enfin en feu » serait bien prometteur. Un texte polyglotte prêt à tout. C’est en effet ce qui arrive au lecteur en découvrant cet étonnant et riche ensemble dont certains poèmes, pour notre bonheur, avaient d’abord paru dans plusieurs revues.
Le journal des poètes 1/2022 – par Nicolas Rouzet
Le Journal des Poètes, numéro 1 de l’année 2022 – La langue est aussi frontière, nous dit Jean-Marie Corbusier, pratiquer un art, c’est toujours ouvrir quelque chose qui est présent autour de nous. C’est d’un même esprit d’ouverture que témoignent les poètes luxembourgeois auxquels est consacré le dossier présenté par Florent Toniello. Ici les langues dépassent les frontières, elles se chevauchent…