Note de lecture
Florence Delay, Zigzag, par Serge Airoldi
Serge Airoldi,
« Du zig au zag, allègrement »
Sur Florence Delay Zigzag, Éditions du Seuil, « La librairie du XXIe siècle, 2023.
Tout livre de Florence Delay arrive toujours avec son remarquable cortège de vivacité malicieuse, d’ardeur intacte, d’intelligence sans cesse renouvelée. Zigzag ne déroge pas à ces principes. Très exactement, Zigzag – combien ce nouveau titre est souriant, primesautier – propose une version modifiée et augmentée de Petites Formes en prose après Edison qui datait de 1987 et que Maurice Olender avait alors publié. Un mot – il faudrait des pages – pour dire que Maurice Olender, disparu en octobre 2022, fut une grande figure intellectuelle. Archéologue et historien de formation, philosophe, ce Juif polonais réfugié à Anvers avant la guerre fut pensionnaire de l’Ecole Normale Supérieure, docteur de l’École des hautes études en sciences sociales, notamment éditeur de Georges Perec et fondateur de la collection où nous retrouvons aujourd’hui ce texte revisité de Florence Delay.
Le livre – nous le tenons pour un bréviaire dont il ne faudrait pas se séparer– s’avance avec une citation du philosophe allemand Lichtenberg, encore trop ignoré en France, philosophe des Lumières dont Goethe assurait que les écrits pouvaient servir de la plus merveilleuse des lanternes magiques. L’Académicienne cite le philosophe de Göttingen pour annoncer ses propos liminaires : « Une préface pourrait être intitulée : paratonnerre ». La voici cette préface qui s’ouvre par une célébration-flash : « La forme brève, dans la nature, est l’éclair : lumière intense et brève provoquée par une décharge électrique ». Dans les pages de Florence Delay, effectivement, tout est électricité. Les idées fusent, – on pense aux idées-lièvres de José Bergamin -, les références caracolent, les formes brèves s’égayent en farandole – maximes, épigrammes, haïkus, aphorismes, khardjas , proverbes, adages et Florence Delay en passe. « Qu’est-ce qu’une forme brève, questionne-t-elle sinon un maximum de signification en un minimum de mots ? » Et alors tout est dit. Le feu d’artifice plutôt que la morne et interminable torpeur. La fusée de Baudelaire, ou de Bergamin encore lui – « La fusée est un roseau qui pense brillamment » – et toujours lui pour rendre hommage à Quevedo : « J’étais une fusée, je montai rapidement, brûlant et bruyant dans les airs ; la vue me qualifia d’étoile ; je durai peu… ». Vie brève, intensité de la pensée, fulgurance, jaillissement : tout est bon pour la parabole, la spirale, le trait nerveux. Le zigzag.
La grande culture de Florence Delay permet tous les allers-retours, d’Héraclite à Char, d’une langue à l’autre, avec évidemment une vive acuité pour l’espagnol dont elle est haute spécialiste et dont elle goûte depuis toujours le genio, de Baltasar Gracian encore à La Rochefoucauld, de Chamfort à …Lichtenberg dont on connaît les fameux mots : « Un couteau sans manche dépourvu de lame ». Mais de qui parlait-il pour dire à ce point un rien, une vide, une sinéité ?
N’oublions pas les inimitables nouvelles en trois lignes de Fénéon qui n’avait pas son pareil pour faire le récit, bref évidemment, d’un accident, d’un drame, d’un suicide, d’une rixe, d’une grève. Ainsi cette nouvelle : « A Clichy, un élégant jeune homme s’est jeté sous un fiacre caoutchouté, puis, indemne, sous un camion qui le broya ». N’oublions pas non plus les merveilles aussi littéraires que facétieuses d’un Desnos (« Prométhée moi l’amour »), d’un Leiris (« Glossolalie : la glotte y sonne un hallali »), d’un Allais (« …j’adore l’Angleterre. Je lâcherais tout, même la proie, pour Londres »).
On l’a compris, Florence Delay fait sienne cette nouvelle saillie de Lichtenberg : « C’est une honte que nos mots soient des outils dont on a fait jadis mauvais usage ». La récolte que la Dame en Vert entreprend dans ce délicieux Zigzag préfère le contrepied – en tauromachie on dirait le quiebro -, l’élégance, la fluidité. La forme brève. Plutôt que l’assommante logorrhée.
On se régale d’une telle pensée en mouvement.
Serge Airoldi
Florence Delay, Zigzag, Seuil, coll. »La Librairie du XXIè siècle », 192 pages, 18 euros

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