Note de lecture

Jean-Patrick Manchette, Derrière les lignes ennemies (Entretiens 1973-1993), par Charles Jacquier

Jean-Patrick Manchette, Derrière les lignes ennemies (Entretiens 1973-1993), entretiens réunis par Doug Headline, édition établie par Nicolas Le Flahec, préface de Jacques Faule, La Table ronde, 2023, 300 p.

Le lecteur se demandera peut-être pourquoi ce recueil de vingt-huit entretiens avec l’auteur de polars Jean-Patrick Manchette (1942-1995) porte ce titre martial, plus adapté à un traité de stratégie. Il lui faudra attendre d’arriver à la page 288 et à l’avant-dernier dialogue pour le découvrir. À une question sur l’échec éventuel de ses tentatives professionnelles, l’écrivain répond qu’il n’a « pas fait d’ouvrage franchement infect » mais ajoute aussitôt : « Mais j’ai échoué en bloc, sur le terrain du roman, par rapport à l’espérance que j’avais d’effectuer, avec des collègues, un mouvement tactique qui aurait fait surgir des romans subversifs en plein milieu du dispositif ennemi, c’est-à-dire de l’industrie du divertissement, pour y appuyer le mouvement révolutionnaire qui s’est déployé dans la société en 1968 et dans les années suivantes. »

Cette remarque éclaire le fait que Manchette publie seulement ses romans entre 1971 (Laissez bronzer les cadavres, avec Jean-Pierre Bastid) et 1982 (La position du tireur couché), et aucun autre jusqu’à sa mort. Pour le premier, on est seulement trois ans après mai 1968 et tous les espoirs sont permis ; pour le dernier, on arrive à la fin de la période giscardienne et, pour beaucoup, aux brèves espérances fallacieuses de l’arrivée de Mitterrand au pouvoir qui les clôt et les enterre au point qu’on parlera des « années fric » pour cette décennie. Dans le dernier entretien, alors qu’il était à l’hôpital, il s’explique à nouveau sur le lien entre ses opinions politiques et ses livres : juste après 1968, il avait accompagné le mouvement croyant qu’il « allait continuer de se développer ». Puis, l’ancien monde ne s’étant pas écroulé et continuant à « s’enfoncer dans le purin », Manchette avait repris « ces considérations pour voir pourquoi ce monde n’a pas été vaincu, et pourquoi il a repris l’initiative ». La couleur du ciel ayant radicalement changé, l’industrie du divertissement s’emploie en effet à momifier Manchette de son vivant et à faire du néo-polar une marchandise rentable sur le marché éditorial. À ce sujet, il en parle comme de « la spécialité de divers stalino-trotskistes », considérant qu’« il n’y a plus rien de subversif chez ces gens ». Pour rester fidèle à lui-même, il ne lui reste plus qu’à commencer la longue préparation d’un nouveau cycle romanesque « Les Gens du Mauvais Temps » afin de comprendre cette nouvelle période. La nécessité de faire bouillir la marmite, puis la maladie et la mort ne lui permettront pas de terminer le premier roman inaugural de ce cycle, La Princesse du sang, publié à titre posthume par son fils, Doug Headline.

Au fil des pages, chacun retrouvera les goûts littéraires de Manchette, de Gustave Flaubert à Dashiell Hammett, son style behavioriste, son souci de la langue, son obsession du détail et de la précision, ses analyses sur la place du polar depuis les années 1920-1930 entre divertissement, subversion et littérature, sa proximité avec les idées situationnistes, sa passion pour le cinéma, ses considérations sur son travail de scénariste et de traducteur. Sans oublier son humour omniprésent : « Je préfère être fou comme je suis que normal comme Pasqua. » Bref, outre le plaisir de lire ces entretiens, il ne serait pas étonnant que celui-ci donne l’irrépressible envie de reprendre ou de découvrir tout Manchette, en commençant peut-être par ses Chroniques sur le roman policier et sur le cinéma, des petites pépites de style et d’intelligence…

Charles Jacquier

François Bordes, Zone perdu, par Anne Mulpas

Zone perdue – fragments d’itinérance. Je reprends ma chronique. Sa première version date déjà d’il y a trois semaines. A L’ours & la vieille grille. Sa deuxième version s’impose après mon cheminement dans l’exposition Rothko. Me voici au troisième temps du texte, à moins que ce ne soit le quatrième, le centième…

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Étienne Faure, Vol en V, éditions Gallimard – par Anne Gourio

Note de lectureComme on suit, fasciné, la trajectoire des oiseaux migrateurs, le dernier recueil d’Etienne Faure puise dans le ballet aérien de leur « vol en V » un sens de l’élan, du franchissement, du frayage qui se nuance en légères et souples inflexions au fil des espaces traversés à...

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Frédérique Guétat-Liviani, Il ne faudra plus attendre un train, éditions LansKine – par Étienne Faure

Ce recueil emprunte son titre à l’une des trois parties qui le composent : si c’était le cas, (passe) ; il ne faudra plus attendre un train. En découvrant cette composition, on pense spontanément à un ensemble où viendrait s’intercaler le texte de (passe). Puis l’œil et l’oreille distinguent vite une même voix, dans ces deux pans, deux partis pris formels différents dans le cheminement de l’écriture de Frédérique Guétat-Liviani.

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Le journal des poètes 1/2022 – par Nicolas Rouzet

Le Journal des Poètes, numéro 1 de l’année 2022 – La langue est aussi frontière, nous dit Jean-Marie Corbusier, pratiquer un art, c’est toujours ouvrir quelque chose qui est présent autour de nous. C’est d’un même esprit d’ouverture que témoignent les poètes luxembourgeois auxquels est consacré le dossier présenté par Florent Toniello. Ici les langues dépassent les frontières, elles se chevauchent…

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