Note de lecture

Jean Luc Marion, La métaphysique et après, par Pierrick de Chermont

Jean Luc Marion, La métaphysique et après, Grasset, 2023.

Cet ouvrage, comme souvent chez l’académicien phénoménologue, est un récit fleuve portant sur l’enquête historique d’un concept : celui de la métaphysique. Le ton du livre mêle à une rigueur de métier, une ironie complice, usant de l’étonnement et du paradoxe comme outil de réflexion, le tout animé d’une volonté de clarté et mené d’un pas ferme.

Il débute sur un étonnant avant-propos : « La philosophie, en quoi après tout consiste-t-elle ? » Il la poursuit avec une confession : s’être lancé dans la philosophie sans savoir ce qu’il en retournait, sauf d’en avoir conclu qu’« on reste hors de la philosophie quand on ne se pose que des questions auxquelles on sait répondre ».

Il propose ensuite de cheminer avec trois interrogations en poche : comment fait-on de la philosophie ? Que nous apprend cette page d’histoire de la philosophie que fut la métaphysique ? Quelle pourrait être la page d’après ?

À la première question, il caractérise la philosophie comme une exigence de lecture : celle de vouloir faire revivre en soi la pensée d’un auteur. Ainsi, le lecteur ne saurait se tenir à l’extérieur de l’ouvrage (lequel n’est pas « justiciable de l’objectivité ») ; au contraire, il doit s’engager à « retrouver le mouvement de pensée, c’est-à-dire à le repenser en le lisant » ; ce qui suppose un travail de philologue rigoureux pour affronter l’incompréhensibilité d’un texte en se mettant humblement à son écoute, d’y déceler les « contreforts » de la vérité que sont les paradoxes qu’il contient.

À la question de l’apport de la métaphysique, l’auteur nous embarque dans une enquête aussi passionnante que rigoureuse. Elle aboutit, il me semble, à deux conclusions frappantes : la première est que la question de l’être et de l’étant, celle-là même qui définit la métaphysique, se résume à celle de la souveraineté du concept, qui n’est autre que « l’intelligible à titre de premier objet face à l’esprit ». La deuxième conclusion est que le concept, à faire du réel des objets, affronte en vain, « la puissance du pareil, qui toujours revient dévaluer les différences, en nier l’importance » ; autrement dit, le prix exorbitant du concept fut de ne donner à voir que lui-même et non pas le réel. La raison suffisante, conclut-il, s’avère une raison insuffisante.

A la troisième question, celle de l’après, la proposition de J.L. Marion tient dans une des formules paradoxales qu’il affectionne : « doubler la métaphysique », c’est-à-dire « dépasser le mode de pensée qui y prédomine jusqu’à l’impérialisme, celui de la représentation, désormais armée de la mise en ordre et du calcul et de la mesure ». Comment ? D’abord en constatant que nous sommes déjà sortis (en philosophie du moins) de la « surconceptualisation » du monde depuis un bon siècle. Ensuite, en s’interrogeant prioritairement sur l’événement, qui nous arrive comme un « phénomène saturé » de significations. Enfin, de réfléchir, et l’auteur s’y emploie à travers une discussion serrée autour du es gibt heideggérien, et du lebenswelt husserlien (pages splendides), à ce que serait un « logos élargi » (dixit Marion via Husserl). Je ne vais divulgacher la chute, mais tirer de cette partie une citation aussi mystérieuse que splendide : « L’impossible coule et s’écoule comme un fleuve, suscite un lac immense qu’il traverse de part en part, inaperçu sous la surface le plus souvent calme, mais où, quand il ne soulève pas de soudaines tempêtes, il travaille en profondeur, l’alimente et le soutient. »

Conclusion : bien sûr, il n’y a pas de réponses dans ce livre (vraiment aucune) mais tel n’est pas son but : plutôt de créer une disponibilité d’esprit pour se mettre à l’ouvrage, en activant une nouvelle définition de la philosophie proposée à la fin du livre : « la philosophie n’est pas là pour dire la vérité mais en être les contreforts » ; cela à mettre en regard de l’attaque du livre, pour dégager l’ironie paradoxale de notre auteur : « voilà cinquante ans que je fais de la philosophie et je ne sais toujours pas ce que c’est… » Un polar de la pensée vous dis-je… (pour lecteurs avertis).

Pierrick de Chermont

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