Note de lecture

Alicia Dujovne Ortiz, La Maréchale rousse, par Charles Jacquier

Alicia Dujovne Ortiz, La Maréchale rousse, traduit par Jacques Aubergy, Marseille, L’atinoir, 2023, 248 p.

Journaliste, biographe, critique littéraire et romancière, Alicia Dujovne Ortiz, née en 1940 à Buenos Aires, s’est exilée en France en 1978 au moment de la dictature militaire et y vit encore aujourd’hui. Elle a publié plusieurs romans, des livres pour la jeunesse et des biographies, notamment consacrées à des personnages hors du commun du XXe siècle comme Dora Maar, Eva Perón, Maradona ou encore son père, le militant communiste juif argentin Carlos Dujovne[1].

C’est une autre personne, extrême, hors norme, marginale et délaissant les sentiers battus, mais du XIXe siècle cette fois, dont il va être question dans le présent ouvrage consacré à Elisa Alicia Lynch (1835-1886). Née en Irlande, elle émigre à Paris avec sa famille à l’âge de dix ans pour échapper à la famine qui sévit dans son pays natal. En 1850, elle épouse un officier français beaucoup plus âgé qu’elle qui l’emmène en Algérie où il a été muté. Vite lassée de ce mariage de convenance, elle revient à Paris pour raisons de santé ; elle y vit avec sa mère tout en fréquentant les salons de la haute société, devenant une courtisane. En 1854, elle rencontre Francisco Solano López (1827-1870) lors d’un voyage d’études qu’il fait en France, devient sa maîtresse et le suit au Paraguay. Celui-ci est le fils du dictateur Carlos Antonio López (1792-1862) et le petit-neveu de José Gaspar Rodriguez de Francia, dit El Supremo (1766-1840), le premier dictateur du Paraguay après son indépendance. Elle lui donnera sept enfants et deviendra son épouse légitime après la mort de Carlos Antonio López et l’annulation de son précédent mariage, devenant la femme la plus influente d’un pays alors au faîte de sa puissance. C’est en 1864 qu’éclate la guerre dite de la Triple Alliance : le Brésil envahit l’Uruguay ; son voisin, le Paraguay s’implique dans le conflit. L’Argentine, le Brésil et l’Uruguay s’opposent durant cinq ans au Paraguay dans un rapport de force disproportionné : ces trois pays sont vingt-quatre fois plus peuplés que ce dernier. Au bout de cinq années de combats, Solano Lopez et son fils sont tués à la bataille de Cero Corra en mars 1870, actant la défaite du Paraguay. Le bilan est lourd pour ce pays : on l’estime à 150 000 morts, accompagné d’énormes pertes matérielles et de la cession de nombreux territoires au profit de ses voisins. Elisa Alicia Lynch est alors bannie avec ses enfants par le nouveau gouvernement paraguayen et revient en Europe. Espérant une grâce présidentielle, elle reviendra au Paraguay afin d’y récupérer ses biens et de s’y installer, mais elle sera de nouveau chassée et reviendra à Paris où elle s’éteindra le 27 juillet 1886.

Pour évoquer cette vie peu banale, la romancière commence par la dernière partie de sa vie alors que Elisa Alicia Lynch, entre deux âges, rend visite à Paris à Victor Hugo et ses amis pour passer, en quelque sorte, devant le « tribunal des artistes ». En effet, un parfum sulfureux l’a toujours entourée et elle va revenir en arrière pour raconter sa vie à ses interlocuteurs, donnant sa version des événements évoqués ci-dessus. Au fil de la lecture, tout un chacun hésitera entre l’image d’une femme arriviste, cynique et de petite vertu et celle de l’amoureuse forte, envers et contre tout, de la mère courage au milieu des pires difficultés après la chute vertigineuse de son époux dictateur, de la femme libre et indépendante qui a su se forger un destin singulier, etc. Le grand mérite de la romancière est donc non seulement d’avoir raconté une vie exceptionnelle et oubliée, de l’Europe à l’Amérique du Sud et retour, dans un style sûr et efficace, mais aussi d’avoir conservé jusqu’à la dernière ligne tout ce qui fait l’ambiguïté du personnage, lui laissant en définitive le bénéfice du doute. En ces temps de certitude rigide et de manichéisme simpliste, la leçon mérite d’être retenue.

Charles Jacquier

[1] Alicia Dujovne Ortiz, Camarade Carlos – Un agent du Komintern en Amérique latine, La Découverte, 2008. Cet ouvrage est malheureusement épuisé.

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