« J’AI HAÏ LA POÉSIE »

Le weekend dernier s’est tenu le Salon de la Revue Numéro R, au Centre International de la Poésie de Marseille. Comme d’autres revues participantes, Fax (revue de la BaaM : www.instagram.com/baam.bibliotheque, ndlr) pouvait inviter une.e poète pour une lecture publique. Fax a voulu donner la parole à Hamed Ashour, poète palestinien, actuellement assiégé à Gaza. Faute de pouvoir l’accueillir, nous avons pensé avec lui cette lecture et Hamed a écrit pour cette occasion un texte qu’il nous autorise à diffuser plus largement. Le voici.

Chers vous tous,

Je m’appelle Hamed Ashour, Palestinien de Gaza. Je vous écris en ces temps périlleux, à un moment où j’ignore où je pourrais être lorsque ces mots parviendront jusqu’à vous — serais-je dans une file d’attente pour le pain ou à la recherche d’une gorgée d’eau, aurais-je été contraint d’abandonner ma tente pour dormir dehors, m’accorderais-je un moment de répit entre deux enterrements, ou serais-je en train de fuir les bombes ?

Ce que je sais c’est que je n’ai pas une vie normale. Je ne sais pas à quoi ressemblera demain ni ce que je deviendrai. Tout ce que j’ai, c’est ce long jour qui dure depuis octobre 2023. Un même jour qui n’en finit pas, un jour pesant, fait de répétitions, de la même dureté, la même douleur.

J’ai appris à vivre, pas parce que la vie est un plaisir, mais parce que la mort est omniprésente.

J’ai appris des manières pénibles de survivre, j’ai fréquenté l’espoir, malgré la douleur. J’ai trouvé dans l’écriture un recours et dans la poésie, une fenêtre sur la vie, sur ce qui en reste. Je n’ai jamais disposé d’une seule heure pour pleurer, jamais le loisir de m’effondrer puisque, à chaque instant, il y a de nouveau le massacre, de nouveau s’en tirer, et un cri à documenter.

Chers vous tous,

J’ai tellement haï la poésie quand ça a commencé. Je l’ai détestée parce qu’elle n’arrêtait pas le sang, qu’elle ne protégeait pas les enfants de la faim et des épidémies, parce qu’elle n’est ni un bouclier ni un remède. Je l’ai haïe parce qu’elle ne secoue pas le monde, parce que des consciences autour de nous restent amorphes malgré l’hémorragie des mots.

Mais au bout du compte, je vous ai vus. Je vous ai vus brandir nos poèmes et reprendre notre voix, redonner vie à notre récit écrasé qui a disparu dans l’obscurité des médias et de la mauvaise foi.

J’ai su que la poésie n’est pas une arme, que c’est une promesse, une espérance, une voix vivante dans un monde muet. J’ai su, très chers amis, que je vous dois de vous faire l’écho de nos voix, le pont pour amener notre nakba jusqu’à la conscience du monde.

Mes très chers,

Souvenez-vous de nous si nous disparaissons, si les visages et les noms sont anéantis, comme cela s’est passé pour les Indiens d’Amérique. Restez profondément attachés à notre vérité, même si le monde entier doit se lever contre vous. Nous ne demandons qu’à vivre libres, à retrouver notre pays, à vaincre la colonisation et à être un peuple comme les autres dans ce monde.

Nous avons porté la douleur, faites-vous les porteurs du message et faites que notre histoire demeure à jamais vivante, qu’elle ne meurt pas.

Merci à vous, toujours,

Avec un amour inébranlable,

une affection intarissable,

et une voix qui jamais ne faiblira.

Hamed

Palestine, Gaza – le 18 mai 2025

الأعزاء على الدوام،

أنا حامد عاشور، فلسطيني من غزة، أكتب إليكم في هذه اللحظة الحرجة من الزمن، في وقت لا أدري فيه أين قد أكون عند وصول كلماتي إليكم — هل أكون واقفًا في طابور الخبز، أو باحثًا عن جرعة ماء؟ هل أكون نازحًا من خيمتي إلى العراء؟ أم ربما في لحظة استراحة بين جنازتين؟ أو هاربًا من مرمى القذائف؟

لكن ما أعلمه جيدًا أنني لا أعيش حياةً طبيعية. لا أعرف ما شكل الغد، ولا كيف أرنو إليه، فكل ما أملكه هو هذا اليوم الطويل، الممتد منذ أكتوبر 2023، يومٌ واحد لم ينتهِ بعد، يومٌ ثقيل تتكرر فيه ذات التفاصيل، ذات القسوة، ذات الألم.

تعلمت أن أعيش، لا لأن في العيش متعة، بل لأن الموت دائم الحضور. تعلمت طرقًا صعبة للبقاء، وصادقت الأمل رغم الألم، ووجدت في قلمي ملاذًا، وفي الشعر نافذةً أطل منها على الحياة، على ما تبقّى منها. لم أحظَ بساعة واحدة لأبكي، لم أملك حتى ترف الانهيار، لأن كل دقيقة تحمل مجزرة جديدة، ونجاة جديدة، وصرخة يجب أن تُوثّق.

الأعزاء على الدوام،

كم كرهت الشعر في البداية. كرهته لأنه لم يوقف الدم، ولم يحمِ الأطفال من الجوع والوباء، لأنه لم يكن درعًا ولا دواء. كرهته لأن العالم لم يهتز له، لأن ضمائر من حولنا بقيت ميتة رغم نزف الكلمات. لكني، في نهاية كل شيء، رأيتكم. رأيتكم ترفعون قصائدنا، وترددون صوتنا، وتُحيون سرديتنا التي سُحقت وتلاشت في عتمة الإعلام والانحياز.

أدركت أن الشعر، وإن لم يكن سلاحًا، فإنه وعد، ورجاء، وصوت حي في عالم أصم. أدركت أن لكم، أيها الأحبة، دينًا في عنقي، لأنكم كنتم صدى أصواتنا، وجسرًا يصل نكبتنا بالضمير العالمي.

أحبّتي،

تذكّرونا إن اندثرنا، إن أُبيدت الوجوه والأسماء كما حدث مع الهنود الحمر. تمسكوا بحقيقتنا ولو وقفت الدنيا كلها ضدكم. لم نطلب سوى أن نعيش أحرارًا، أن نستعيد بلادنا، أن نهزم الاستعمار، أن نكون شعبًا كباقي شعوب الأرض.

نحن حملنا الوجع، فاحملوا أنتم الرسالة، واجعلوا حكايتنا حيّة لا تموت.

شكرًا لكم دائمًا،

حبٌ لا ينقطع،

ومودة لا تنضب،

وصوت لا يخبو.

حامد عاشور

فلسطين – غزة