L’encre et la matière, secret précieux

Expositions de Li Jinyuan et Ye Xingqian au Musée Paul-Dupuy et à la Galerie 21 (Toulouse)

Dans le centre historique de la ville de Toulouse, près de la place des Carmes, se trouve un délicieux « musée de l’art précieux ». Il abrite une collection curieuse et éclectique rassemblée par Paul-Dupuy (1867-1944), bourgeois amateur d’antiquités et de pièces rares d’artisanat d’art. Meubles, céramiques, orfèvreries, horlogerie, ferronneries, objets précieux d’un temps ancien.

Du 14 février au 22 juin 2025 ce musée accueille une exposition temporaire issue des collections d’un autre lieu, fermé pour travaux, le musée Georges-Labit, spécialisé en art oriental. Sous le titre « L’encre et la matière. Chine précieuse », elle s’intéresse à la matière reine de l’art chinois : l’encre.

Mais il s’agit ici principalement de créations contemporaines. On découvre ainsi les œuvres de deux grands artistes d’aujourd’hui : Li Jinyuan et Ye Xingqian. Né à Chengdu en 1945, le premier a été professeur des Beaux arts de l’université du Sichuan. Il redéploie sur les paysages d’Occitanie l’art chinois de révéler l’essence d’un lieu en mille nuances de blanc, gris, noir. C’est un doux et intense bouleversement de contempler les Pyrénées vues, réinventées, transfigurées par le pinceau de Li Jinyuan. La grande toile figurant le château de Montségur sur son éperon rocheux saisit le regard. Réel connu réinventé par le pinceau.

Né en 1963 dans le Zhejiang, Ye Xingqian peint depuis son enfance. À 19 ans il émigre en France et doit faire différents métiers avant de se consacrer pleinement à son art. Ye Xingqian creuse une voie tout aussi intérieure mais plus abstraite, plus secrète. Il poursuit, on le sent, une longue interrogation du visible. L’encre alors se transforme en révélateur, comme si, de son pinceau et de son calame, il avait transpercé une des membranes de l’invisible, comme s’il avait traversé d’un geste deux traditions : celle de l’art traditionnel chinois, celle de l’avant-garde occidentale.

Parallèlement à l’exposition du musée Paul-Dupuy, quelques rues plus loin, place du Salin, la Galerie 21 présente dix-neuf œuvres de Ye Xingqian. Exposées dans un cadre plus intime, encore plus propice à la contemplation, le visiteur peut plonger dans ces images qui portent en elles tout un monde.

D’une grande pureté, les œuvres présentées donnent au regard une force et une acuité nouvelles, comme lavé dans un bain d’encre invisible, purifiant et doux. Un bain de jouvence permettant de poser un regard neuf sur le visible. L’un des secrets de l’art vivant.

François Bordes